La Dame aux Cerfs : à la croisée de l’oubli et du souvenir

Il existe des expériences qui, malgré leur douleur, nourrissent la créativité d’une manière étrange.
La perte d’un ami cher est l’une de ces épreuves qui laisse une empreinte si indélébile dans nos vies, qu’elle peut transpirer dans nos créations. C’est dans ce contexte de vide et de nostalgie que j’ai créé un personnage particulier : la Dame aux Cerfs. Et quand j’avais besoin de m’en prendre à la fatalité, c’est elle que je blâmais.

La Dame aux Cerfs est née d’une douleur profonde et d’une introspection intense après la perte d’un ami proche. Sa présence dans mes œuvres est un reflet de la lutte interne que j’ai endurée. Ce personnage incarne le tourment de voir s’effacer les souvenirs d’une personne importante, une sensation de vide et de désespoir face à l’oubli inévitable.
Il y a longtemps, un jour d’été, alors que j’observais un visage que je ne reverrais plus jamais, tourné vers moi, à l’arrière d’une vieille voiture qui s’éloignait, une douleur aiguë se mit à ronger ma poitrine. Et je pensais vivre le pire…
Je me trompais. Pire que la douleur, la vacuité. Le silence insensible.
J’ai tenté de remplir l’obscurité de souvenirs. Mais c’était douloureux. Alors j’ai longtemps attendu l’oubli. Mais cela m’a rendu froid et creux. J’aurais voulu récupérer ce que le temps m’avait pris, mais ma mémoire avait été vidée, méticuleusement purgée de tout.
Il ne me restait plus qu’un vague regret, et le besoin d’avancer.

Le concept du vide laissé par les disparus est bien malgré moi au cœur de mon art. La Dame aux Cerfs en est la maîtresse. Ses hommes-cerfs, avec leurs bois croissants, sont les manifestations visuelles de notre volonté malsaine de maintenir en vie les souvenirs d’un temps déjà mort. Les bois, qui grandissent avec le temps, représentent la manière dont ces souvenirs affectent notre perception et notre bien-être. Les émotions que l’on croyait perdues reviennent sous une forme déformée, créant un cycle douloureux de souvenir et de perte. C’est pourquoi les Hommes-Cerfs sont poussés à dévorer le cœur de leurs victimes avant de s’en retourner auprès de la Dame à laquelle ils obéissent.

Dans mes œuvres, le cycle de souffrance est représenté par une boucle sans fin où la Dame aux Cerfs génère des copies illusoires des disparus, qui finissent par dévorer les cœurs des vivants. Cette boucle symbolise la manière dont les souvenirs peuvent devenir une prison émotionnelle. Nous nous accrochons aux images idéalisées du passé, les transformant en illusions qui, à leur tour, nous consument. Ce cycle est à la fois une représentation visuelle du processus de deuil et une critique de la manière dont nous tentons de nous raccrocher à ce qui nous a échappé.
La Dame aux Cerfs est capable de générer des émotions synthétiques et de les revendre à ceux qui ont perdu leur cœur. Un substitut qui ne remplacera jamais le souvenir de base tout en prétendant le faire. De plus en plus accros, de plus en plus vides, ceux ayant perdu leur cœur n’ont que moyen d’espérer s’en sortir : ignorer les assauts répétés de la Dame.
C’est difficile, mais pas impossible. Après de longues années, après avoir lutté et m’être fait aider, j’ai commencé à sortir du miasme qui me rongeait.

La Dame aux Cerfs est plus qu’un simple personnage dans mon univers artistique ; elle est une réflexion profonde sur la nature du souvenir et du vide que laisse une perte. À travers elle, je cherche à capturer les nuances de la douleur et de la nostalgie, tout en explorant comment nous essayons de remplir ce vide avec des illusions et des souvenirs déformés. Le message que je souhaite transmettre est celui de la résilience et de la capacité à avancer malgré la douleur. Mon art, nourri par cette métaphore, devient une forme de thérapie et de compréhension, à la fois pour moi et, je l’espère, pour ceux qui se retrouvent dans ces histoires de perte et de renaissance.