Je vous le disais il y a deux semaines, nous, artistes, nous sentons condamnés à subir Instagram et ses règles.
Ses règles qui font que certains s’élèvent lorsque tous les autres cherchent désespérément le moyen d’atteindre les mêmes sommets.
Ses règles qui font que si tu es en train de lire cet article tu te sens probablement dans la deuxième catégorie, dans l’ombre froide d’un sommet escarpé dont le trésor t’échappe.
Nous sommes tous au casino, en train de tout miser désespérément dans une ultime partie de poker, tandis qu’une poignée seule rafle la mise, heureuse et éclatante.
Sommes nous seulement conscients que si nous arrêtons tous d’investir dans cette partie de poker, elle finira tôt ou tard par s’essouffler, et peut-être même le casino par fermer ?
Mais nous voulons y croire, nous sommes résilients. D’autres abandonneront avant nous, peut-être même pourrons nous récupérer leurs derniers jetons.
Tels des vautours ?
Lorsque quelqu’un, quelque part dans ma tête, a prononcé cette phrase, j’ai frissonné.
J’ai reculé. Ils m’ont tous regardé, impatients que je me lève. Que j’abandonne.
Peut-être bien sommes nous tous en train de devenir des vautours se bataillant pour des miettes.
Je ne veux pas de cet avenir.
Mais comme beaucoup d’entre vous, Instagram est ma cour, mon public. Je souffre d’anxiété sociale, il y a de grandes chances qu’internet reste mon principal terrain de jeux.
Alors comment faire ?
J’ai déçu leurs attentes. Je me suis à nouveau approché de la table.
Je resterai pour la prochaine partie. Certes, je jouerai avec les cartes du même jeu.
Mais je ne jouerai plus comme eux.
Des likes, je ne dépendrai plus.
J’ai eu du mal à le faire l’an passé ; cette année, j’en fais une résolution : plus jamais je ne m’inquiéterai de mon nombre de likes. Je choisirai mes propres métriques : ce que j’ai aimé faire. Ce qui a fait réagir les gens. Ce pour quoi les gens se souviennent de mon travail. Ce qui leur donne envie d’interagir avec moi.
Toutes ces choses qui ont conditionné ce choix de partager mon travail sur internet.
Parce que quand j’arrête la course aux likes, je me souviens. Mokoya de 2017 rêvait de dépasser les 1000 abonnés. Mokoya de 2022 l’a fait. Et ce n’est pas la quantité qui me génère du bonheur, c’est quand je me rends compte que derrière un pseudo, il y a une vraie personne qui a ressenti quelque chose face à mon travail. Et que de cet échange, nous ressortons gagnants tous les deux.
Les likes, c’est des chiffres, ça ne veut rien dire. Instagram n’a pas de chiffre pour les émotions qu’on crée avec les autres. Alors, hop, on envoie bouler. Et si une œuvre a moins de like que les autres, ça ne dit rien du plaisir que j’ai pris à la faire. Alors je peux quand même en être fier.
Des autres, je ne dépendrai plus.
J’ai tendance à sous-estimer ma main en glorifiant celle des autres. Eux, c’est sûr, ils ont de meilleures cartes, les miennes elles sont nulles…
Qu’est-ce que ça peut faire ? Qu’est-ce que je suis venu chercher à cette table de jeu à la base ? La victoire écrasante sur tous les autres ? Et quand bien même, ça m’apporterait quoi ?
On dit souvent qu’on veut être le meilleur parce que se mesurer par rapport aux autres, ça permet d’avoir un point de repère. Si j’ai commencé 500e et que je finis le premier, on peut factuellement dire que j’ai grimpé de 499 places. On peut mesurer une évolution.
Alors déjà c’est complètement con. Pendant que j’évolue, les autres évoluent aussi. Dans un sens comme dans l’autre. On finit juste hypnotisé par les classements comme si les autres étaient des bornes de repère ou je ne sais trop quoi d’inanimé et dépourvu de volonté propre.
Mais en plus de ça, avoir plus d’abonnés que les autres sur Instagram (car c’est clairement de ça qu’il est question) ça ne prouve pas qu’on est un bon artiste, ça prouve juste qu’on est doué pour raconter des choses sur les réseaux sociaux ou pour rassembler une communauté.
Même sur le style de dessin, se comparer aux autres ou essayer de faire comme eux… c’est pas terrible. C’est courir après le train.
Or, comme un mec un peu paumé m’a dit une fois “ le temps qu’on perd à courir après le train des autres, c’est du temps perdu à faire avancer le nôtre”. Autrement dit : à trop rattraper les compétences des autres on oublie de développer nos propres compétences : ce qu’on aime faire, ce qu’on sait déjà faire, et ce qu’on veut savoir faire pour mettre au service de ce qu’on aime faire.
D’une plateforme qui ne m’appartient pas, je ne dépendrai plus
Je l’ai dit dans l’article précédent : Instagram n’est pas notre ami. Instagram te fait signer, dans les conditions d’utilisations, un accord pour faire ce qu’il désire des images que tu postes. Allô ! Instagram se prend pour notre patron en fait ! Il possède nos productions créées dans son cadre à lui, nous félicite quand on a fait des résultats mieux que notre moyenne, nous demande de nous améliorer, nous fournit de quoi mesurer la qualité de notre travail, nous demande de surveiller notre tenue et notre langage… Et ne nous paye pas.
Et ne me parle pas de ces quelques-uns qui ont réussi, font des partenariats commerciaux ou que sais-je… On n’est pas ceux là. C’est quasiment un business pyramidal le machin ! Les petites communautés flattent les grosses, les alimentent gratuitement, et seuls les influenceurs au sommet y gagnent un peu… Quand Instagram himself est le grand gagnant.
Au casino, c’est pas les joueurs qui gagnent le plus, c’est le croupier.
C’est pourquoi je diversifie mon contenu, et surtout, c’est pourquoi j’ai un site internet qui m’appartient avec un nom de domaine et un hébergement que je paie. Instagram ne peut pas posséder tout mon travail. Instagram ne me possèdera pas.
Ma stratégie, toujours sera construite selon ma main.
Toutes ces dépendances que je m’efforce de briser, c’est pour reprendre le contrôle de ma main. De mes atouts. De mon jeu.
Un bon joueur sait tirer le meilleur parti de ses cartes, peu importe le reste du jeu.
Je le disais plus tôt, j’ai ouvert ce compte Instagram en 2017. En 7 ans, j’ai eu le temps de comprendre mon positionnement par rapport au réseau qui m’entoure : mes ressources, mes compétences, mes aspirations et mes motivations.
Ce qu’il me manquait, c’était de comprendre que j’avais déjà compris le plus important.
Et après ? Suis-je enfin devenu l’outsider de shonen qui a disparu dans l’angle mort de tous et revient frapper un grand coup, arracher une victoire insolente, et laisser coi toute l’assemblée ?
Il n’y a pas de recette de réussite garantie à 100%.
Bien sûr que non. Je suis toujours à l’ombre de ma montage. Parce qu’il n’y a pas de recette de la réussite. Il y a seulement des tentatives plus ou moins fructueuses, et des coups de chance, aussi : un réseau qui se réveille, un bon strip au bon moment, un post partagé par les bonnes personnes…
Alors je suis toujours à l’ombre de ma montagne. Mais j’ai cessé de croire que le trésor de sa cime était l’arme légendaire qu’il me manquait absolument. En vrai, les plaines sont pleines de ressources. Il y a sûrement moyen que je me crafte mon arme légendaire dans le coin. Avec un peu de patience.
On quitte la table ou pas ?
La décision appartient à chacun. Si vous êtes assez nombreux à le faire, on pourrait assister à un retournement de situation incroyable.
Moi j’avoue, je vais rester encore un peu. En revanche, je ne fais plus tapis, c’est terminé. Je vais observer un peu, miser suffisamment petit pour sortir un peu plus le croupier hors de ses gonds à chaque post. Friser la transgression des règles du jeu, n’en faire qu’à ma tête. Volontairement.
Une chose ne changera pas :
Chacune des cartes de ma main sera toujours posée avec panache.
Il faut bien contenter les spectateurs !
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Article du Café des Récits
En avril 2022… je traversais un passage à vide. J’étais malade, au fond de mon lit, victime du syndrome de la page blanche. Vraiment, à cette période, j’avais tiré les mauvaises cartes.