Si je vous dis “Woodkid”, vous répondrez sans doute “ah oui, le trailer d’Assassin’s Creed”.
Ce trailer rythmé sur sa musique, “Iron”, est sans doute ce qui a contribué à le faire connaître du grand public. Mais pas moi.
Comment avais-je donc découvert cet artiste ? Impossible de m’en souvenir. Mais je sais que sa musique m’avait touché et avait résonné avec ce que j’essayais d’exprimer. Des sonorités tantôt fortes, tantôt mélancoliques, parfois orchestrales, épiques, en contraste avec une voix douce et grave, comme retenue dans les méandres de ses propres souvenirs.
Presque 10 ans ont passé et Woodkid vient de révéler une nouvelle musique, pour la saison 2 de la série Arcane : “To Ashes And Blood”. La série très populaire, tirée du jeu vidéo League of Legends, avait déjà usé des sonorités mélancoliques et épiques de Woodkid dans la saison 1 avec “Guns for Hire”. Et j’avais adoré ce dernier, qui s’inscrivait bien dans l’univers que l’artiste s’était créé.
Alors pourquoi “To Ashes and Blood” me laisse un arrière goût fade ? Pourquoi je ne réussis pas à savourer cette nouvelle œuvre ?
Elle est différente, bien sûr. En 2020, un an avant la diffusion d’Arcane saison 1, l’album S16 de Woodkid prenait déjà une trajectoire qui s’éloignait du cadre initial tracé par l’artiste. Et dans cet album, “Reactor”. Des sonorités vraiment différentes. Des chœurs en japonais. Une musique écrite pour être interprétée avec le Suginami Junior Chorus. Quand j’ai écouté “Reactor” pour la première fois, ça m’a fait l’effet d’une bombe.
Impossible d’avoir ce ressenti avec “To Ashes and Blood” qui me semble pourtant vraiment être comme son fils spirituel.
Mais qui peut juger de l’arc créatif d’un artiste ? Et selon quels critères ?
L’amour de la continuité
On n’aime pas aveuglément un artiste, généralement. On aime quelque chose de récurrent dans son travail, et c’est l’amour de cette chose qui nous fait aimer l’artiste et faire confiance à sa créativité. Ce que nous pauvres mortels consommateurs d’œuvres artistiques appellerions “le style”.
Evidemment, ce style que nous aimons, composé de symboliques et/ou de techniques récurrentes chez un artiste, crée une attente forte. Nous voulons que l’œuvre suivante d’un artiste reste dans ce style que nous projetons chez lui. De chaque nouveau morceau de Woodkid, j’attends un certain frisson, une émotion, qui, pour vous parler avec le coeur, me porte en général dans un état de concentration unique et profond (j’écris et je dessine beaucoup avec ses oeuvres dans le casque – actuellement, j’écoute Enemy).
Cette attente forte que nous avons est quelque part en contradiction avec ce qu’un artiste a l’ambition de faire.
La rupture qui sert de cadre
On en a déjà parlé dans l’article “c’est quoi ton style ?”, as known as la question qui met tous les artistes en PLS. Car le style se définit sur le long terme et voire même après la fin du style. Pourquoi ? Parce que c’est plus facile de cadrer quelque chose lorsqu’on connaît ses limites. Après tout,tant qu’on n’a pas fait le tour d’un sujet, peut-on vraiment définir ce qui le caractérise ?
Mais avec le temps, je pense que ce qui peut être le plus difficile à vivre dans cette question, c’est qu’un artiste (de mon point de vue en tout cas) est quelqu’un qui se remet constamment en question, a constamment envie d’évoluer. Un artiste remet en question son œuvre précédente dès l’œuvre suivante.
A mes yeux, Woodkid remet en question son travail avec “Reactor”, en brisant la continuité. Mais à bien y réfléchir, il le questionne aussi avec “To Ashes and Blood”. Parce qu’une fois qu’on a brisé la continuité, c’est un effort tout aussi coûteux d’en créer une nouvelle et de tenter de définir ce qui caractérise ce nouvel arc. Mais de l’extérieur, mon premier ressenti a été de me dire “bof, ça ressemble à ce que j’ai déjà entendu” alors qu’au final, c’est un nouvel effort à fournir.
En vrai, je trouve aussi que ça en dit long sur ma façon de consommer la musique actuellement. Quand j’étais ado et que j’écoutais Corneille, j’avais écouté l’album entier. Et j’avais une idée de ce qui définissait le travail de Corneille (Palapapa…). Quand “Les Marchands de Rêves” son CD suivant, est sorti, j’avais aussi une idée de ce qui différenciait les deux. La comparaison était équilibrée : un ensemble fini contre un ensemble fini.
Aujourd’hui, j’écoute le nouveau morceau d’un artiste, inconsciemment, je le compare avec tout le reste de sa discographie. Et j’ai des attentes énormes d’ailleurs : ça doit être dans la continuité, mais pas pareil quand même parce que sinon on ne découvre rien. Quelle galère…
Bref. Si ça se trouve, j’ai raconté n’importe quoi sur Woodkid. Et si ça se trouve, dans 3 ans je dirai que “To Ashes and Blood” est un banger absolu.
Mais ce que je m’efforçais de dire, c’est que le travail d’un artiste vit, par ses ambitions, par ses doutes, par son évolution en tant qu’être humain. Ce que nous percevons comme un changement de style ou une rupture fait peut-être partie d’un cheminement que nous ne comprenons pas encore dans son intégralité… Que l’artiste en lui-même ne comprend peut-être pas non plus !
Suivre un artiste dans ses expérimentations, c’est prendre le risque d’être déçu parfois.
C’est parce que ce risque existe que le voyage est intéressant.
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