Cette histoire est un fragment du récit : Entre Les Lignes, qui n’est pas encore paru sur le Café.

Ce récit se déroule dans le même univers que Les Rebelles Créatifs (BD one-shot) et La Ligne Jaune (parue sur Twitter).

Pour commencer, tracer un grand cercle sur les écrits relatifs au personnage.

 

Aydee s’empare de son pinceau fétiche, inspire profondément, s’exécute. Les poils noircis par l’encre glissent sur ses manuscrits étalés au sol.

Comme tous les samedi soir, la résidence étudiante, vide, est bien trop calme. La pièce étriquée est plongée dans la lueur bleutée de la lune.  La jeune femme y voit juste assez pour tracer les symboles du rituel, maintenant que ses yeux, se sont habitués à l’obscurité.

Elle est sereine ; cette fois, elle s’est bien préparée. Tout a été anticipé. Un mois à l’avance : préparer le matériel. Une semaine à l’avance : mémoriser les étapes. Un jour à l’avance : plonger, là-bas, pour prévenir Daniel.

Ça peut marcher. Ça doit marcher. Ça va marcher.

L’encre n’est pas tout à fait sèche, il faut attendre un peu. Aydee observe les reflets du tracé qui s’estompent.

Et maintenant, le carré entrelacé avec le cercle.

Aydee ne peut pas s’empêcher de penser à toutes les tentatives précédentes… mais il ne faut pas. Ça va marcher. Ça va marcher. Ça va marcher.

Pour se donner du courage, elle murmure, à voix basse, les principes de la Traversée.

“Quatre éléments font notre monde,

Quatre éléments font le leur.

Eau, Terre, Air, Feu.

Encre, Papier, Verbe, Étincelle.”

D’un geste fluide mais vif, Aydee trace la spirale du Verbe, au centre de laquelle elle dispose l’étoile de l’Étincelle.

Aydee pense à Daniel, à tout ce qu’elle a enduré juste pour lui donner vie. Ce soir, la Traversée réussira. Ce soir, ils seront réunis. Ce soir,elle ne se sentira pas seule.

Dessiner l’eau, l’eau dont fut tirée l’encre dans laquelle elle trempa sa plume.

Dessiner la terre, la terre dont fut tirée le papier qu’elle couvrit de ses écrits.

Dessiner l’air, le souffle dont fut tiré le Verbe qui lui permit de formuler les mots.

Dessiner le feu, le feu dont fut tiré l’étincelle qui l’inspira pour créer Daniel.

Daniel qui…

Aydee doit rester dans l’instant présent.

Accroupie auprès de la composition encore humide, elle se concentre sur celui qui doit Traverser.

J’inspire, j’expire, je pense à toi.

J’inspire, j’expire, je t’appelle.

Un frisson parcourt la jeune femme de la tête aux pieds : de façon presque imperceptible, les symboles se sont mis à vibrer.

Ça y est, ça commence.

Il ne reste plus qu’une étape, la plus difficile.

L’améthyste. Son talisman le plus précieux. Celui qui symbolise une rencontre, une amitié, une complicité, une adversité combattue.

Une vie.

L’accident. Plus rien.

Il ne faut pas y penser. Ni à la solitude, ni au désespoir, et surtout pas à la folie.

Avec détermination, Aydee s’empare de la pierre.

De sa sueur, de son sang, de ses larmes…. elle a créé Daniel.

Dans un geste plein de rage, Aydee brandit son trésor.

Elle a le pouvoir de déclencher sa Traversée.

Aydee abat son bras, avec une énergie teintée de désespoir. L’améthyste percute le sol au point précis marqué par l’Étincelle.

Ça va marcher. Ça va marcher. Ça va….

Sous ses doigts, la pierre vibre de plus en plus fort ; se fissure ; éclate en mille morceaux.

Le sol semble s’effondrer sur lui-même.

Un vortex se forme, de plus en plus grand ; des feuilles se soulèvent, s’envolent, tourbillonnent dans la pièce.

Il faut aller jusqu’au bout.

“Daniel… Viens à moi !”

La voix d’Aydee vacille. Elle ne doit pas douter. Elle ne doit pas avoir peur.

Pour la première fois après un nombre infini de tentatives, une main jaillit du vortex, se tend vers le plafond.

Le coeur d’Aydee va exploser dans sa poitrine. Elle attrape fermement le poignet sans hésiter une seule seconde.

La texture de la peau.

La chaleur de sa paume.

Les doigts qui s’agitent.

Aydee frémit. Ses peurs et ses envies, enchaînées dans la même valse endiablée, se muent en transe.

Ça a marché.

Elle ne sera plus jamais seule.

Elle ne sera plus…

La main de Daniel perd brusquement sa consistance charnelle ; elle lui file entre les doigts et disparaît dans le sol.

Le tourbillon s’évanouit.

Les feuilles retombent doucement.

La pièce retrouve bien vite son calme dans la lueur bleutée de la lune.

Ça n’a pas marché.

Aydee reste quelques secondes qui lui semblent une éternité, immobile, choquée, incapable de réagir.

Enfin, elle réussit, hagarde, essoufflée, les mains tremblantes, à rassembler les bris d’améthyste, épars entre les manuscrits.

Puis elle ramasse toutes les pages, qu’elle dispose à nouveau au sol en un tapis de papier le plus large possible.

Le regard vide, comme perdue, elle ramasse son pinceau, le trempe dans l’encre.

 

Pour commencer, tracer un grand cercle sur les écrits relatifs au personnage.