Cette histoire est un fragment du récit : Enfants du Désert, qui n’est pas encore paru sur le Café.
Lorsque l’instructeur prononça son nom, Solomon Al-Graïz s’avança, menton levé, torse bombé, le pas fier.
Solomon était certainement le plus grand de l’Armée des Enfants Camotswe. Lui qui habitait dans cette petite ville limitrophe du pays ennemi, il avait, dès le premier Appel, quitté le terrible front où il combattait tous les jours pour remonter à la capitale et intégrer l’A.E.C.
Bien sûr, il n’était arrivé parmi les derniers qu’à cause de cette terrible traversée du désert durant laquelle il soutint ses serviteurs, peu accoutumés aux températures extrêmes ; et les larmes dans ses yeux, en entrant dans Naganotswe, n’étaient pas signe d’angoisse ou de manque de volonté, oh que non ; elles trahissaient sa rage, à la pensée de tous ces combattants Camotswe tombés au front contre les Tejinns.
L’instructeur appela Myra Seiti ; Solomon ne put empêcher un rictus.
Dans tout le pays, on connaissait l’histoire inspirante de Myra, fille du général Seiti, orpheline de guerre. “La petite princesse du peuple” était vénérée à Naganotswe, au point que des rumeurs circulaient sur le bénéfice médiatique dont profiterait le gouvernement si elle venait à épouser le fils de l’Empereur.
Durant son long voyage, Solomon s’était imaginé s’incliner auprès d’une adolescente charmeuse, gracile, éloquente ; au lieu de quoi il n’avait trouvé qu’une enfant chétive, crasseuse, silencieuse.
Ça ? Une princesse ?
Le peuple sait décidément bien mal choisir ses ambassadeurs.
Comme disait son père : un homme qui n’a rien à raconter est un homme stupide. Soit, Myra n’était qu’une enfant, mais cela valait pour tous.
Et voilà qu’aujourd’hui, il l’affronterait au corps-à-corps. Ha ! La vie est bien faite. Il pourrait glaner quelques points de charisme.
Il allait la rétamer, puis l’aider à se relever avec compassion : “Par le Dieu du Vent, Myra, je suis si confus ! Je n’ai su mesurer ma force… Comment te sens-tu ?”
Myra se positionna face à lui, bras repliés, jambes fléchies, en garde, comme vu lors de la leçon du matin.
La jambe gauche hésitante. Les yeux inquiets.
Parfait.
Solomon s’élança vers elle, chargeant, comme engagé dans une bataille épique. Il voulait l’intimider, planter son regard dans le sien, mesurer sa peur.
Au lieu de ses pupilles de jais noyées dans le doute, il ne trouva que deux petites billes brillantes et opaques à la fois. Le regard de Myra était dur comme l’acier ; froid comme la glace ; acéré comme l’épée la plus tranchante. Solomon ne lirait pas en elle ; mais elle avait déjà transpercé sa volonté.
Tel l’insecte nocturne hypnotisé par la lumière, Solomon fut captivé à en perdre l’esprit. Il en trébucha. Glissa. Roula dans le sable, une fois, deux fois, trois fois, avant de s’arrêter juste à ses pieds.
Myra recula d’un pas, comme effrayée ou gênée. Elle lui tendit une main hésitante, le regard inquiet.
Il refusa son aide, animé par la fureur, et frappa le sable qui s’immisça dans ses yeux. Il voulut se les frotter…
Un hurlement de rage traversa le campement.
Myra recula à nouveau puis lui tourna le dos avec douceur et sans provocation. Elle connaissait sa place de fille du peuple.
Kobē avait observé toute la scène avec un sourire narquois.
Comme le disait le peuple : l’homme te juge à tes paroles ; Dieu te jugera selon tes actes.
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