Cette histoire est extraite du récit « Enfants du Désert », comme le texte « Mindless » du Textober.
Myra retient un frisson, rabat la capuche de sa saharina sur ses courts cheveux bruns.
La température est bien vite redescendue durant la dernière heure.
Comme tous les soirs, la fillette s’est isolée du reste du campement ; quelques minutes d’intimité entre elle et le désert.
Tandis que l’éclat pourpre s’atténue, les ombres bleues avalent les dunes. À quelques centaines de mètres derrière elle, les torches et les lampes s’allument dans les tentes. C’est l’heure la plus agréable de la journée : on se détend, on rit pour panser les courbatures et oublier le vide dans les estomacs. Bientôt, le sommeil salvateur alourdira les paupières.
Le vent du désert caresse doucement Myra, fait flotter des mèches rebelles devant ses yeux. Elle se sent glisser dans un rêve. Quelque chose d’imperceptible l’enveloppe et la rassure…
– Myra, mais c’est pas vrai ! Qu’est-ce que tu fais encore, à t’éloigner de tout le monde ?
La fillette courbe l’échine. Fin de la pause. Retour à la réalité.
– Viens ici, immédiatement.
Myra s’exécute avec autant de mauvaise volonté que possible.
C’est Kobē qui l’appelle, évidemment ; ce bon petit soldat entêté, à peine plus âgé qu’elle, qui croit que le général Seiti lui a confié une mission divine dans son agonie.
– C’est dangereux, le désert. Surtout la nuit, avec ce froid ! Tu dois rester avec moi. Pourquoi tu ne m’écoute jamais ? Tu ne me cause que des problèmes, alors que je t’avais dit de ne pas me suivre à l’A.E.C. !
Mais quel petit orgueilleux, celui-là ! Myra ne l’a pas suivi, elle a ses propres ambitions ! Elle n’est pas une chose en porcelaine qu’on protège. Et puis, elle a déjà neuf ans et demi !
De toute façon, elle ne l’écoute pas vraiment. Elle préfère compter les grains de sable qui s’agglutinent dans la crasse de ses tresses. Gros con.
– Hé, toi ! Laisse-la tranquille !
Myra souffle de soulagement en reconnaissant la voix, au loin.
Un adolescent s’approche d’un pas déterminé, ôte sa capuche d’un air furieux. Sa peau était bien plus claire que celle des Camotswe ; ses yeux gris lançaient des éclairs.
– Ce n’est pas parce qu’elle est muette qu’il faut lui parler comme ça !
Sidérée.
Qu’est-ce qu’il vient de dire ?
En voyant l’expression du visage de Myra, Kobē ne peut pas s’empêcher de pouffer de rire.
– Danoe, c’est bien ça ton nom ? Danoe Toca, le Metys.
Il avait éructé ce dernier mot. Il est vrai que les Metys n’ont pas la vie facile, que ce soit de ce côté-ci de la frontière, ou bien de l’autre.
L’autre ne répond pas pour autant. il préfère se diriger vers la fillette et lui présenter ses hommages.
Bien qu’elle lui rende son sourire, Myra recule, gênée. Elle n’est pas une vraie princesse, elle n’a pas de légitimité à ce qu’on lui fasse une révérence… ou quoique ce soit d’autre, d’ailleurs ! C’est un adolescent sympathique, mais bien trop dévoué.
– J’ai connu un Toca, à la guerre, poursuivit Kobē. Un Tejinn.
Le Metys pivote, les poings serrés, les pupilles ardentes.
– Il m’a supplié de ne pas le tuer. J’ai glissé la lame de mon sabre dans sa bouche. Elle a traversé son crâne comme si c’était du beurre.
– Quand bien même c’eût été mon géniteur, je n’en ai cure de tes exploits, grince Danoe. C’est pour les Camotwe que je combats, c’est pour notre liberté que je suis ici.
– Un traître n’aurait pas mieux dit, siffle Kobē.
C’en est trop. Danoe pousse un cri de rage, s’élance vers le provocateur. Kobē rit sous cape. Il peut démonter cet idiot en moins de trois secondes. Alors qu’il se met en garde, les muscles roulent sous sa peau, semblables à une houle qui se lève.
– ÇA SUFFIT MAINTENANT !
Le cri avait retenti, résonné, s’était propagé dans tout le campement.
Une voix étrange.
Aussi douce qu’une lame émoussée.
Aussi harmonieuse que le crissement du sable pris dans les rouages d’un mécanisme.
Aussi mélodieuse que le coassement des oiseaux du crépuscule aux abords des grottes de Fihnn.
La voix rouillée, grinçante, éraillée de Myra, qui s’était interposée.
Kobē, qui en avait pourtant l’habitude, recula d’un pas. Mais ce n’était pas vers lui que la fillette s’était tournée en s’interposant.
Danoe s’était figé, choqué par ce son inconnu qu’il avait cru sorti des enfers. Yeux écarquillés, bouche béante prolongée en un rictus sordide.
Myra lisait dans son regard l’effroi, le désarroi, l’incompréhension.
Et pire encore.
Au fond d’elle-même, elle sentit résonner l’écho des pensées du Metys. Un mélange de dégoût et de pitié qui lui donna la nausée.
Myra baissa doucement les bras en signe d’abandon. Qu’il se fasse donc ratatiner, ce grand dadais blanchi et fatalement superficiel.
Elle laissa là les deux adolescents ébranlés, honteux, cois, pour s’enfoncer davantage dans le désert.
Elle pouvait bien mourir de froid cette nuit ; son coeur était déjà gelé, de toute façon.
Lire le textober de la veille : Jour 5 – Build