Hello lecteur, j’espère que tu vas bien !
Au moment où j’écris ces lignes, c’est samedi, et comme tous les samedis, je profite de mes premières heures de week-end. Ou pas.

Être artiste n’est que la moitié de ma vie. L’autre moitié, c’est le salariat. Grosso modo, j’ai dix ans d’expérience en chefferie de projet dans le numérique.

Dit comme ça, on dirait un super héros : artiste avec le masque, employé sans le masque. Il y a un peu de cela, surtout que j’essaie de garder une frontière opaque dans un sens, et semi-opaque dans l’autre.

On m’a vendu la double casquette comme le beurre et l’argent du beurre : la sécurité de la rémunération du salarié d’un côté, avec son lot de facilités – la liberté de l’artiste de l’autre, d’autant plus libre s’il a la sécurité financière.
Tu la sens venir, la douille ?
Voici 5 choses que je n’avais pas du tout anticipé en début de carrière.

1/ Je suis “juste un artiste”

La vie en entreprise est souvent remplie de clichés. Et dans les bureaux, on croise peu d’artistes autoproclamés, sans surprise. J’ai travaillé dans plusieurs boîtes, et souvent, je finis par être “juste l’artiste”. Un point qui a pris une ampleur considérable depuis que je poste les épisodes d’OMUN.

Un extrait de ma présentation d’auteur dans mon webtoon OMUN  (#5 – BONUS : plus dure sera la chute)

Tu vois le gamer à qui on demande de réparer un PC ? C’est pareil.

Il y a une énorme confusion entre la créativité et l’art.
Une fois, j’ai dit à une collègue qui préparait un doctorat que je la trouvais créative, et elle a cru que je plaisantais car c’était moi l’artiste. Pas du tout. La créativité, c’est la capacité à penser différemment pour résoudre un problème. Et quand tu travailles toute la journée dans l’innovation, forcément, tu développes une forme de créativité.

Cette confusion entre art et créativité fait qu’à partir du moment où je suis catalogué comme “le gribouilleur”, je deviens “le créatif de la bande”. Et les gens s’en servent pour justifier n’importe quelle mission en pensant (ou en prétendant) me faire plaisir.

De plus, les gens dissocient profondément la logique de la créativité. Cela a déjà mené à l’invisibilisation de mes vraies missions. Je rappelle qu’à la base, je suis chef de projet. Une entreprise n’a pas voulu me croire en recrutement car les seuls éléments visibles de moi dans mon expérience précédente étaient axés sur des missions créatives.

Je ne parle même pas des missions qu’on m’a proposé de faire sur mon temps libre vu que “j’ai une passion artistique”…

2/ Je ne réussis pas à être vrai

Ce n’est pas un hasard si la quête de soi est un thème récurrent de mes histoires. Dans ma vie, depuis enfant, j’ai développé le formatage comme mécanique de survie. J’erre entre mes pulsions anticonformistes d’artiste (aanh ce clichéééé) et mon obsession de réussir à rentrer dans le moule pour ne pas me faire remarquer. 

Aujourd’hui encore, je galère à trouver mon ton, mon discours d’artiste. Parce que je le veux authentique, sincère et spontané. Trois choses que j’ai du mal à être, et le salariat n’aide pas.

Au bureau, être soi n’est pas une option. On enfile tous des costumes, on se lisse, on modère ses propos, on trouve que la vision de l’entreprise est géniale (en vrai, parfois, elle l’est) même quand on n’est pas d’accord. Autant te dire qu’il y a de quoi amplifier mon obsession de conformité.

Quand je rentre, et que je me mets devant ma tablette, après une journée où le corporate a étouffé mon moi intérieur, les artblocks sont fréquents. Je n’ai déjà pas beaucoup de temps d’artiste, si ma vie de salarié bride également mon esprit, cela réduit davantage mon temps effectif de dessin…

3/ “Laul les artistes sé dé clodo”

Le monde de l’entreprise est une gigantesque saucisse périmée ; et qui s’en vante en plus. Composé d’une majorité silencieuse qui vient travailler, prendre sa thune et se barrer… ainsi que d’une minorité très bruyante convaincue de contribuer au monde. C’est vrai, messieurs et quelques dames parvenues jusqu’à ces postes prestigieux, vous y contribuez. Mais pas plus que les autres. En réalité nous y contribuons tous, et par tous, je veux dire… les artistes aussi.

Pour certaines sombres merdes qui hantent les couloirs aseptisés rythmés par des bruits de claviers, les artistes ne contribuent pas à la société.
Quand on sait que, par exemple, un créateur de webtoon rémunéré passe parfois le double, souvent le triple des 35h nationales sur son petit écran à sortir un projet, ça me fait doucement rire. Et encore, je cite l’exemple que je connais le mieux, il y en a tant d’autres.

Les artistes se plaignent-ils de précarité ? Qu’ils se trouvent un vrai métier, évidemment.
Nous sommes entourés d’art. Le cinéma, la musique, les bandes dessinées, toute la culture, permettant à l’humanité d’accepter un peu mieux les coups durs de la vie, quand elle y a accès. Si tous les artistes renoncent et retournent à l’usine ou dans les bureaux, ils liront quoi, regarderont quoi, écouteront quoi, le gratin de la hiérarchie corporate ? Imagine un peu ton week-end sans divertissement culturel. Tu finiras vite par te faire chier.

Désolé pour mon langage. C’est un sujet qui me met hors de moi.

4/ La liberté, qu’ils disaient

Travailler 35h pour son salaire, rentrer chez soi, et dessiner. Simple ?
Déjà, je n’ai jamais eu de contrat à 35h. En moyenne, je tourne plutôt autour de 39h. Boh. 4h de plus dans une semaine, ça passe…
Attends, attends. Et les trajets ? Et les pauses déjeuner ?
Dans ma précédente expérience, je rédigeais mes scénarios dans le bus, et je faisais mes storyboards sur ma pause déjeuner. Mais c’est impossible à planifier systématiquement, il y a toujours un imprévu qui te ralentit, vu que tu n’es pas dans un environnement de travail optimisé.

Un extrait des storyboards sur lesquels je travaillais à la pause déjeuner pour OMUN

Alors il y a eu le COCO. Le télétravail a commencé à entrer dans les mœurs depuis.
Mais on n’a pas encore compté les heures supplémentaires…
Je vais vous citer une phrase que j’ai entendu dans TOUTES mes expériences :
“Etre débordé, ça fait partie du poste”.
Après deux burn-out dans deux boîtes différentes, j’ai une nouvelle obsession : la gestion du temps. Planifier. Prioriser, déléguer, reporter. Je n’y arrive toujours pas.
Évidemment c’est ma planification d’artiste qui en pâtit. Du coup, mes projets artistiques sont de plus en plus longs à réaliser…

5/ La sécurité, qu’ils disaient

En dix ans d’expérience, j’ai changé de boite 5 ou 6 fois. La moitié de ces expériences étaient des CDI, le soi-disant graal du salariat.
La sécurité de l’emploi ? Si un employeur malhonnête veut te virer alors que tu es en CDI, il trouvera le moyen de le faire. Certains bavards se vantent même de se passer les combines entre eux. Super.
A noter que ce n’est pas toujours par malhonnêteté. Par exemple, ce peut être un licenciement économique.

J’ai créé le Café des Récits juste après un licenciement économique.

A chaque changement de poste, j’angoisse par anticipation. Au début, je me disais qu’une fois la période d’essai passée, je serais à l’abri tant que je faisais correctement mon travail. Maintenant, je n’ai plus cette naïveté. Et elle me manque un peu. 

Parfois, ça me met en colère. J’ai choisi la double casquette salarié / artiste entrepreneur, et au final, je n’ai ni la sécurité, ni la liberté.

BONUS/ Je fais ça pour l’argent

Ah, cette question que je déteste en entretien. “Pourquoi postuler chez nous ?”.

Même si en général, j’aime mon travail. Même si j’adore les défis. Même si j’adore faire appel à mes capacités d’adaptation, créer et optimiser des procédures. Même si j’aime être en contact avec d’autres personnes.
Je postule pour l’argent. La JUSTE rémunération du travail que je fais pour une entreprise, c’est un dû, en fait !

Et c’est pareil pour le métier d’artiste ! J’aime dessiner, j’aime communiquer avec les gens qui aiment mon travail, développer des projets en collaboration, raconter mon expérience sur le blog, m’arracher les cheveux sur la compta, à essayer de développer une stratégie économiquement viable…
Mais je veux une JUSTE rémunération pour mon travail d’artiste également.

L’instant autopromo : si tu veux soutenir mon travail d’artiste, tu trouveras mes créations sur ma boutique en ligne Etsy.

Pour l’art, comme pour la chefferie de projet, peut-être que je ferais certaines choses même si elles n’étaient pas rémunérées. Passion, bénévolat, aider un ami… Probablement, oui.
Mais aujourd’hui je fais ça pour l’argent. Il faut que je me loge, que je me nourrisse, que je me déplace, que je me soigne. Que je me repose, que je trouve du réconfort, que je m’évade, que je célèbre mes petites victoires. Il faut que je vive.

Toi lecteur, qui comme moi cherche le sens de ta vie : à ressources égales, il n’y a pas de chemin plus facile qu’un autre. Mesure bien ce que tu aimes et ce dont tu as besoin, mais sache que tu auras forcément des regrets. Alors réfléchis bien, et va vers la voie dont tu pourras encaisser les regrets.

De mon côté, j’ai bien l’intention de continuer de me battre. Je gaspillerai sûrement beaucoup de temps et de santé mentale, mais un jour, à ma façon, j’aurai le beurre et l’argent du beurre.
Ou je mourrai en essayant.

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