C’était une matinée d’hiver, à l’approche de la fin de l’année 2022. Samora et moi faisions le bilan de notre premier projet collaboratif, une BD publiée sur instagram. Le créateur du Mwakast a déjà un autre projet en tête : une histoire d’horreur au format audio, qu’il me fait écouter. Un frisson me parcourt la nuque : en grand fan de Feldup ou des Nouilles Rampantes, je presse le bouton de lecture.
C’est encore mieux que tout ce que j’aurais pu imaginer. J’accepte immédiatement. Le projet vidéo “Fanm Matinik Dou” venait d’être lancé.
L’art de construire sur des fondations solides
Comme mentionné plus tôt, Samora et moi en sommes à notre deuxième projet ensemble. Lui est Guadeloupéen, habitué du format vidéo et audio, et travaille énormément sur du contenu historique / culturel des Antilles. Moi, je suis de la Martinique, je dessine et je raconte des récits fictifs, souvent dans des formats illustrés ou écrits. Nous sommes donc assez différents, mais nous partageons tout de même certaines valeurs : l’amour de notre culture antillaise, la volonté de créer pour apporter des connaissances ou ouvrir un débat ; le désir de véhiculer un message virtuel rassurant et fédérateur pour ceux qui en ont le plus besoin.
Le projet en lui-même faisait écho à des thèmes qui sont importants pour moi : la culture antillaise, les relations que tissent les êtres humains, la place du « je » au sein du « nous ».
(Je reste vague pour ne pas spoiler…)
Un challenge artistique
Mais ce n’est pas parce que mes origines et mes valeurs font écho au récit que la réalisation a été simple, loin de là.
J’avais vraiment à cœur d’éviter de véhiculer des stéréotypes dans ma réalisation. Je voulais que mes sources soient justes, et mes choix artistiques éclairés. J’ai fait quelques recherches par moi-même, mais Samora m’a bien aidé sur ce point.
Il y a aussi le format : la vidéo. J’ai toujours aimé chercher des moyens détournés de faire du vivant avec mes dessins, les tipeurs de la vieille école le savent…
J’avais pour ambition d’aller au bout d’une animation au moins un peu mise au propre. Mais cela aurait été trop long, compte tenu de nos plannings chargés. Samora a fait le choix du compromis : dans le cas de Fanm Matinik Dou, nous nous en sommes tenus à l’animatic.
L’animatic est, dans l’animation classique, l’étape qui vient après le storyboard : on monte les images du storyboard sur une bande son… et c’est souvent à peu près tout. Parfois, oui, on ajoute quelques effets basiques de translation, par exemple. Cela permet de se projeter sur l’impact de la vidéo au-delà de simples images. Mais on n’est pas encore sur un produit fini. Parfois même il y a juste de simples flèches pour traduire le mouvement.
L’avantage de ce format c’est que c’est le moment où on peut tout tester, c’est le Far West de l’animation. Donc, à partir du moment où le public se dit : “ok, c’est pas fluide, mais je suis ok avec ça” on peut se permettre beaucoup de choses même si dans les faits le résultat est brouillon.
Trouver sa place
La principale raison de mon coup de cœur pour le projet : le questionnement sous-jacent ! On est appâté par un sujet, l’horreur, qui semble complètement décorrélé de la réalité : on joue à se faire peur, c’est “pour de faux”. Ensuite l’histoire commence et on découvre un contexte original : la Martinique des années 20. On est titillé par le dépaysement. Jusque-là, on se sent bercé dans un moment de divertissement pur. Et là, le récit referme ses griffes. On va parler social.
(Promis, pas de spoil ici ! )
Car plus on avance dans la vidéo, plus on découvre, narré presque avec une forme de sarcasme subtile, les tares d’un des personnages. L’écriture est d’une précision chirurgicale : seuls les individus sensibles ou sensibilisés à ce type d’agression auront, je pense, ce petit frisson de dégoût alarmant. Les choses se confirment au fil du temps, mais jamais dans l’explicite. Lorsque vient le dénouement final, on est partagé entre le soulagement et l’horreur.
Ce qui est intéressant est que la question n’est jamais posée directement dans l’écriture, point que j’ai tenu à conserver absent du dessin. Je trouvais la narration tellement réussie que j’ai tenu, en tant qu’illustrateur, à m’absenter du propos pour ne pas le dénaturer. Je n’ai rien représenté de plus que ce qui a été dit factuellement.
Je ne vais pas mentir, ça a été un positionnement plein de doutes pour moi. Trouver sa place dans une œuvre collaborative tout en honorant l’intention générale, c’est toujours devoir choisir entre parler plus fort ou acquiescer en silence.
Mais il paraît qu’un aviateur qui dessinait des moutons a dit
“La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer.”
Et sur ce projet, que le dessin parle plus fort aurait sans aucun doute été de trop.
Less is more
Je suis satisfait de tous les choix qui ont été fait sur ce projet, du début à la fin. Il n’est pas parfait, et c’est le but. Chercher plus sachant les ressources dont nous disposions aurait été, à ce stade, perdre en authenticité.
Comme d’habitude, on termine avec le lien vers la page du projet : https://lemwakast.wixsite.com/kaskodstudio/fanm-matinik-dou et si celui-ci vous a plu, allez suivre de près les chaînes Youtube et Instagram de Samora, il y en a bien plus à découvrir !
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