Cette histoire est extraite du récit : La Terre des Kakutos, qui n’est pas encore paru sur le Café.
La pièce, circulaire, parcourue de piliers décorés de hauts-reliefs, était immense. Elle occupait tout le dernier étage de la Tour. Pas de fenêtres donnant sur l’extérieur, mais d’innombrables minuscules ouvertures trouaient la pénombre, créant des rais lumineux qui traversaient l’espace lacunaire.
Chaska se dit que ce devait être beau, d’observer les rayons se déplacer autour de la salle, au fil de la course du soleil.
La jeune femme caressa les feuilles des lierres grimpant le long des colonnes. Le sol pavé, parcouru de petites rigoles au fond desquelles chantonnait de minces filets d’eau, était glacé.
L’atmosphère du lieu apaisait son excitation. Pourtant, il manquait une pièce à ce tableau serein.
– Tu es à l’heure ! C’est bien. Nous allons pouvoir commencer.
Chaska se drapa un peu plus dans son châle jaune tout en faisant volte-face. Face à elle, un homme et une femme, à peine plus âgés qu’elle. Leurs yeux brillaient étrangement du même éclat azur ; cependant, la ressemblance s’arrêtait là.
Lui, très pâle, blond, en chemise de satin blanc, soigneusement paré d’une étoffe aux motifs cuivrés ; son pantalon bleu marine, large, bouffant à mi-mollets, était enserré par des bottes en cuir.
Elle, le teint mat, les cheveux sombres et très lisses, retenus en une queue-de-cheval qui dansait lorsqu’elle tournait la tête. Le regard franc, les épaules fortes, une brassière et un pagne verts pour seuls habits.
Tous trois prirent place au centre de la pièce, sur des coussins préalablement disposés à cet effet. Devant chaque assise, un coffret laqué renfermait quelque chose de précieux.
– Le rituel doit commencer par un interrogatoire, introduisit doucement l’homme.
– Je suis prête, répondit automatiquement Chaska.
– Que fais-tu ici ?
– J’ai été désignée par feu Quesatl pour lui succéder en tant que Prêtresse.
L’homme marqua un silence surpris.
– Et pourquoi vas-tu succéder à Quesatl ? Reprit la femme.
– Parce qu’il doit toujours y avoir dans la Tour : une Kalina, un Kurkur et un Kagabito afin de de prendre les décisions concernant nos trois peuples. Pour la paix et la survie de la Terre des Kakutos.
– Oui, oui, acquiesça l’homme. Tu dois toujours garder cela à l’esprit : la paix et la survie de la Terre des Kakutos.
– La paix et la survie de la Terre des Kakutos, répéta Chaska, obnubilée par son regard.
Elle n’aurait su dire si la sensation qui l’envahissait était une bonne ou une mauvaise chose.
– Ouvre la boîte, ordonna la femme.
Chaska s’exécuta. Tandis qu’elle ôtait le couvercle, un éclat doré glissa sur le talisman enchâssé dans son écrin.
– Le Soleil d’Or, murmura-t-elle.
– La Lune d’Argent, annonça sa voisine de droite en procédant au même geste.
– L’Océan de Nacre, conclut l’homme en s’exécutant. Lorsque nos trois peuples n’étaient encore que des tribus primitives, un Kurkur reçut le Don. Il devient le premier Prêtre. Il façonna, enchanta, aidé d’une Guerrière Kalina et d’un Savant Kagabito, le Médaillon des Kakutos. Tant que les trois Ambassadeurs de la Tour s’entendent et se respectent, tissant des liens solides, le Médaillon reste entier, lévitant sur son socle, et nous restons une nation bénie et protégée. Mais Quesatl nous a quitté ; le Médaillon s’est donc scindé. Il ne sera rassemblé que lorsque nous aurons tous les trois à nouveau tissé des liens solides.
– Sais-tu ce qu’il se passera si nous ne parvenons pas à le faire en trois jours et trois nuits ?
Chaska inspira profondément avant de répondre.
– Le malheur consumera notre nation jusqu’à ce que le Médaillon ait obtenu réparation.
– Bien. Maintenant, levons-nous, et faisons un essai.
La jeune femme noua son châle jaune en se remémorant les gestes sacrés.
– Je suis Shamē, claironna cérémonieusement l’homme. Je suis le Savant de l’île des Kagabitos.
Il se déplaça vers le socle central. Sa chorégraphie sophistiquée semblait évoquer le mouvement des vagues.
– Je suis Nyolina, dit ensuite la femme. Je suis la Guerrière de la forêt des Kalinas.
Ses mouvements, bruts et rapides, inspiraient une force martiale.
– Je suis Chaska, je suis la Prêtresse des montagnes Kurkurs.
Ses gestes étaient gracieux ; son châle, en flottant, lui donnait l’allure d’un oiseau. Dès qu’un rai de lumière caressait le tissu, un éclair irisé fusait dans la pièce.
Ensemble, ils joignirent les talismans avant de s’immobiliser, attentifs…
Rien ne se produisit.
– C’est encore trop tôt, murmura la jeune femme, déçue.
– C’est normal, répondit Shamē, conciliant.
– Je propose qu’on aille à la taverne, déclara Nyolina, les yeux rieurs. Il n’y a rien de mieux qu’une ambiance festive pour tisser des liens, non ?
– Bonne idée. Apprenons à nous connaître. Chaska, qu’en dis-tu ?
Elle hocha la tête par réflexe, fascinée par le ciel radieux qu’elle voyait dans ses yeux.
– Alors, qu’est-ce qu’on attend ? S’écria Nyolina, s’engouffrant dans les escaliers. Ce que vous êtes lents, tous les deux !
C’est à cet instant précis que Chaska remarqua l’expression changeante de Shamē dès que résonnait la voix forte de Nyolina.
Cette sensation était une mauvaise chose.
Lire le textober de la veille : Jour 6 – Husky