Cette histoire est extraite du récit : OMUN, qui n’est pas encore paru sur le Café.
Un autre textober raconte les évènements antérieurs à ce passage : Jour 4 – Freeze. À lire, si ce n’est déjà fait !
J’émergeai d’un sommeil profond ; la température de la pièce avait baissé. Allongée sur un matelas sommaire, je m’enfonçai dans ma veste jaune, si chaude. J’entendais Romo ronfler à tout va.
“Le repos du guerrier”, pensai-je avec un sourire.
Un autre bruit, plus discret, attira mon attention. Comme un frottement ? Plutôt un raclement ?
Je me redressai, ouvris les yeux.
L’endroit était plongé dans l’obscurité nocturne ; cela ne m’empêcha pas de constater l’absence de Jem.
Un autre son. Définitivement un raclement.
Des pas, à l’extérieur. Ils semblaient tourner autour de la cellule, en descendant.
Ah oui, c’est vrai ! Je me souvins de notre arrivée, quelques heures plus tôt…Nous étions dans une tour, bâtie comme un phare : étroite et haute. À chaque niveau, une pièce, circulaire, occupait tout l’étage. L’escalier, à l’extérieur, longeait la paroi.
J’avais ma petite idée sur ce qu’il s’était passé.
Je m’avançai vers la zone de la cellule où j’avais entendu les bruits étranges. Je tâtai le mur de pierre, plusieurs secondes ; enfin, je sentis un mince filet d’air, à peine perceptible, au niveau d’une jointure.
Je poussai les blocs ; l’un d’eux tomba dans l’escalier, libérant une ouverture.
J’en étais sûre.
Jem, décidément, tu es incorrigible.
Depuis qu’il nous avait entraîné là-dedans, j’avais l’impression qu’il nous menait en bateau. Je ne savais pas pourquoi ni comment, mais j’étais convaincue qu’il y avait une sacré entourloupe là-dessous.
Jem, Romo et moi fréquentions le même lycée, habitions le même quartier. J’accordais une confiance aveugle au second ; j’étais extrêmement méfiante envers le premier.
J’avais réussi à déplacer suffisamment de blocs pour me dégager un passage. À pas feutrés, je m’élançai à la poursuite du forban. Il n’était pas si loin devant, et je pouvais me fier au bruit de ses pas.
Il glissa dans les ruelles jusqu’à atteindre les portes de la ville, qui, selon l’organisateur, étaient solidement closes et gardées avec vigilance dès le crépuscule.
Pourtant, Jem ne ralentit pas; il se présenta à la loge des gardes avec un simple mouvement énergique de la main droite… Les deux pans de métal blindé s’écartèrent.
Pourquoi les gardes le laissaient-ils passer ?
Leurs mouvements…
Jem peut les manipuler de la sorte rien qu’avec son Spirit ?
Ou alors… il nous cache encore quelque chose…
J’accélérai le pas, me faufilai par la porte qui se refermait. Les gardes ne s’en étaient pas formalisés.
Mes doutes étaient confirmés.
Nous fûmes bientôt dans la plaine des statues. L’espace était très dégagé; je décidai donc de me laisser distancer.
Les silhouettes de glace s’étaient parées de reflets bleus, luminescents, qui ruisselaient le long des surfaces givrées.
L’une d’entre elles m’attirait particulièrement ; je ralentis pour observer l’expression apeurée, sculptée sur son visage.
Mon regard glissa doucement sur les détails de ses cheveux ; le long de son menton ; escalada ses lèvres, puis son nez ; flotta sur ses sourcils ; se nicha dans ses pupilles.
L’expression de ses yeux, surtout, était si bien travaillée. J’avais l’impression de ressentir ses craintes et ses angoisses.
Je…
Oh, ma tête…
Mais… où suis-je ?
Je…
Cet endroit…
De la neige. Partout.
Quelques flocons légers se laissaient choir doucement.
Où sont passées toutes ces statues ?
Où est passé Jem ?
J’ai l’impression d’être ici depuis…
…Bien trop longtemps.
Et puis…
J’ai si froid…
– Je t’attendais.
Face à moi, une femme.
De longs cheveux sombres, attachés en une queue de cheval basse, épaisse et indisciplinée. Des mèches immaculées brillent au bout de ses boucles.
Une cape noire laisse à peine apparaître sa robe blanche, très ample, aux délicats motifs carmins.
Elle est entourée de cerfs aux yeux d’émeraude.
Elle me fixe de ses pupilles de jais.
– Où suis-je ?
Elle ne répond pas à ma question.
– N’as-tu jamais eu l’impression d’un grand vide, là, à l’intérieur ? Demande-t-elle en enfonçant ses doigts sur ma poitrine.
Je recule.
– Je n’aime pas trop qu’on me touche, avertis-je.
– Justement, réplique-t-elle. Pourquoi ?
Ses mots m’ébranlent. Cette façon de me fixer, franche et impassible, me met mal à l’aise.
– Est-ce à cause de ce vide en toi ? Comme une pièce qu’on t’a enlevé, et qui ne reviendra jamais.
Je recule de nouveau.
– Mais… ça ne veut rien dire ! Peux-tu, oui ou non, me dire où je me trouve ?
Toujours pas de réponse.
Elle tape dans ses mains.
Elle m’agace.
L’un des cerfs émerge de l’obscurité, s’approche d’elle. Elle effleure sa tête de l’index et du majeur, juste entre les bois.
Était-ce vraiment un cerf ? Je ne sais plus très bien. C’est un jeune homme qui se tient devant moi.
– Tu le connais, affirme la femme.
– Mais… Je… Non ! Je n’ai jamais vu cette personne….
Ses cheveux châtains bouclent légèrement.
– Je suis sûre de moi.
Il effleure le liseré de sa chemise d’un geste qui me perturbe.
– Je n’ai….
Quand il sourit, ses yeux brillent d’un éclat doré.
– Jamais…
Il a tracé quelque chose dans la neige. Je me penche pour lire.
– Jamais vu ce…
Trois nombres.
01.
19.
06.
Je fronce les sourcils.
Cela semble avoir tant de sens ; et pourtant, ça ne veut rien dire….
– Tu as ce vide au fond de toi, reprend la femme.
01.19. 06.
Est-ce… une date ?
– Tu ne peux y échapper.
Un code ?
J’ai mal à la tête…
– Il existe des liens puissants en ce monde.
Comme un étau sur mes tempes. Je chancelle…
– Qui sommes-nous pour les détruire ?
Je tombe à genoux. Tout tourne autour de moi.
Elle se penche vers le garçon à la chemise bleue.
– Fais-le.
Faire quoi ?
Je ne comprends strictement rien !
J’ai peur.
Je tente de me relever, mais je ne peux plus bouger. Immobile, agenouillée dans la neige, effrayée, perdue.
Il se rapproche de moi. Son regard me dérange.
Il s’agenouille en face de moi. Mon cœur bat à tout rompre, impossible de m’enfuir.
Il avance ses bras, doucement. Je me sens prise au piège.
Il les rapproche de mon corps, les serre autour de mes épaules.
Je sens ses mains sur mon dos.
Je sens son torse contre ma poitrine.
Je…
Ne peux plus…
Respirer…
…
– JHAD !!!
Comme expulsée d’un monde, comme éjectée d’un rêve.
Je tombai dans l’herbe haute, parmi les statues de glace.
Je vomis.
– Jhad !
On m’attrapa le bras, c’était Jem. Il planta son regard dans le mien. Je le sentis scruter mes pensées.
Je voulus dire un mot, mais j’étais encore trop faible.
Pourquoi ces larmes coulaient-elles sur mes joues ?
– Jhad…
Je n’avais jamais vu une telle expression dans les yeux de Jem. Je le sentais inquiet ; pire : je le sentais incertain.
Le doute…
Je n’avais jamais lu le doute sur son visage.
– Jhad, ça va aller. Je suis arrivé à temps… Je suis arrivé à temps.
Il me serra contre lui.
Je sentis ses mains sur mon dos.
Je sentis son torse contre ma poitrine.
Ça ne va pas.
Ça…
Ça ne va pas !
J’ai envie de hurler, j’ai envie de le repousser, de m’en prendre à lui.
Ce n’est pas toi !
Ce n’est pas…
Je me sens si faible.
Derrière moi. Je le percevais.
Une chose se mettait en mouvement, avec peine.
La glace craqua.
Une voix grave maugréa tout bas des sons inaudibles.
Jem me lâcha. J’ouvris les yeux, en alerte ; je reprenais enfin mes esprits.
Devant moi, les statues changeaient de couleur, la clarté immaculée virant au rouge ardent ; au noir profond.
– Jhad… Articula Jem avec peine.
Ma si jolie veste jaune… Pourquoi ?
– Jhad… Comment…
L’étoffe avait perdu ses couleurs.
Les statues frissonnaient, frétillaient, se mouvaient.
Jem se remit en garde, les yeux brillant de colère.
– Mais bordel, Jhad !!! Comment as-tu pu leur donner tant d’énergie ?
Lire le textober de la veille : Jour 10 – Pattern