Cette histoire est extraite du récit : OMUN, qui n’est pas encore paru sur le Café.

Équipe 88, annonça le garde. Jem, attributs : Terre et Spirit. Jhad, attribut : Feu. Romo, attribut : Air. Bienvenue au Mont Céleste. Patientez ici, un organisateur vous mènera jusqu’à Tori.
Jhad s’approcha de la table.
– Alors, qu’est-ce qu’il a dit ?
Je lui traduisis le message d’accueil en français. Je n’eus pas vraiment le temps de finir.
– Jhad, c’est génial ! S’exclama Romo. C’est officiel, tu possèdes le feu. Désormais, tu vas tout cramer sur ton passage ! VRFRCHHHHHH !
L’adolescente elle-même, généralement renfrognée et taciturne, esquissa un sourire.
J’étais consterné.
– Calmez-vous, bon sang, vous me faites honte. Depuis que je nous ai inscrits au Jago, j’ai l’impression de voir ma crédibilité partir en fumée.
– Et pas de fumée sans… SANS ? SANS FEU ! Reprit Romo. Ah, Jhad, ça prouve bien que c’est encore de ta faute, hein, moi je n’y suis pour rien…
Cette fois, un petit rire lui échappa. Elle baissa brusquement la tête, dissimulant son visage derrière ses longues mèches indisciplinées.
Je décidai de les ignorer. Leur enthousiasme puéril m’agaçait, mais je ne pouvais pas leur en vouloir.
J’avais été comme eux.

Nous venions tous les trois d’un monde fade, monotone et routinier, comme à peu près n’importe quel terrien.
Jhad et Romo découvraient tout juste Omun ; pour ma part, j’avais mes habitudes ici, désormais.
Mon père avait toujours dissimulé cette épée étrange, à laquelle je n’avais pas le droit de toucher. Mais comme n’importe quel autre adolescent l’aurait fait, j’ai transgressé son interdiction.
Je découvris par hasard que l’épée pouvait me transporter dans un autre monde en quelques secondes à peine ; un où l’aventure et l’extraordinaire se nichent à tous les coins de rue. Mais plus important encore, l’épée, du nom de Kiranea, était aussi une femme. Elle me mena à celui qu’on appelait le Maître, et c’est ainsi que je devins le plus jeune Gardien de la Porte de la Terre.

– Regarde sous tes pieds ! S’écria Romo.
À quelques mètres derrière moi, mes deux comparses s’étaient agenouillés sur le sol, subjugués.
Nous marchions sur une paroi de glace épaisse, mais si pure qu’on pouvait y voir à travers.
– Agh, c’est froid, se plaignit le boute-en-train, frottant ses mains.
– Sans blague, maugréai-je. Couvrez-vous. Ce n’est pas le moment de gaspiller votre énergie.
D’une simple pensée, je façonnai un manteau dont je rabattis la capuche. Romo choisit un épais pull en laine ; quant à Jhad, elle doubla sa veste.
Guidés par l’organisateur, nous traversions une étendue gelée agrémentée de statues de glace.
– Elles ont l’air si…vivantes… murmura Jhad, fascinée. Celui qui les a sculpté est doué pour capter le mouvement.
Un frisson me parcourut en entendant ses propos.
– Allez, allez, on avance !

Les humains de la Terre venaient tous au monde avec un Gewa, une ombre responsable de nos désirs matériels. Sans Gewa, pas de lien entre l’âme et le corps charnel.
Sur Omun, pas de chair. Les êtres d’ici ne possèdent donc pas de Gewa. C’est la raison pour laquelle leur attribut se révèle si facilement.
Quand on est surentraîné, on peut cependant décupler ses attributs en exploitant son Gewa ; mais cela demande une maîtrise de soi extraordinaire.
L’autre inconvénient est que si l’on meurt en le faisant, le Gewa se détache de l’âme. Attiré par le Mont Céleste, il se retrouve alors prisonnier de celui-ci, sous forme de statue de glace.
Celles-là même que nous venions de frôler.
Pas d’inquiétudes, cependant. Le jour, ce ne sont que des blocs sans vie.
La nuit, en revanche… Regarder une statue dans les yeux peut l’animer ; elle peut ainsi prendre possession d’un être d’Omun et le mener à sa perte. Mais si vous êtes un terrien, votre sort sera plus funeste. Votre Gewa corrompra votre âme et vous poussera à vous suicider afin de s’échapper. L’aura du Mont Céleste le forcera alors à se changer lui-même en glace.

– Alors, Tori, c’est une ville souterraine, c’est ça ?
Romo était décidément surexcité. Sa voix résonnait tandis que nous nous engouffrions dans la galerie descendante. Jhad semblait plus calme, mais ouvrait de grands yeux à chaque objet insolite.
Je ne lui répondis pas. Je venais de remarquer un détail important.
Ce visage figé et lisse que j’avais croisé quelques minutes plus tôt…
Kiranea s’immisca dans mes pensées.
“Je l’ai vu, moi aussi. Je l’ai vu.”

Quelques semaines plus tôt, le Maître avait disparu sans laisser de trace.
Ce n’est pas si extraordinaire sur Omun : l’absence d’enveloppe charnelle empêche l’existence d’un résidus matériel en cas de décès. En revanche, cela pose un énorme problème insoluble : comment savoir ce qui était vraiment arrivé ? Serait-il juste… parti ? Et pourquoi ?
Plus terrible encore, le Maître était la seule personne ayant connu ma mère de son vivant, et qui soit disposé à me parler d’elle.
Mes chances d’en savoir plus sur elle dépendaient donc de lui.

“Je suis sûre que c’est lui, insista Kiranea, terrorisée. C’est son Gewa !”
Je baissai la tête, fou de rage. Mon intuition avait été la bonne, depuis le début.
J’étais maintenant certain que le reste de mon plan se révèlerait juste.
“ C’est trop dangereux !” Répliqua Kiranea avec force. “Personne n’a jamais tenté de lire les pensées d’un Gewa !”
– Il faut bien que quelqu’un le fasse.
Jhad sursauta, se tourna vers moi.
– Tu me parlais ?
– Non, non, la rassurai-je avec un sourire. Continue à… à faire… tes trucs.
Dangereux ou pas, j’avais enfin le moyen de savoir ce qui était arrivé à mon Maître.
Dangereux ou pas, j’avais enfin le moyen de savoir ce qui était arrivé à ma mère.

 

[À suivre]

La suite de ce textober ici : Jour 11 – Snow !

Lire le textober de la veille : Jour 3 – Bait