Cette histoire est extraite du récit : l’Écharpe, paru sur le Café en 2016.

Ce textober se déroule après « L’Écharpe », illustré dynamique se déroulant lui-même après « Le Bon Camp ».

Les mains de Sarah, parcourues de spasmes, faisaient cliqueter le trousseau d’un bruit aigu qui résonnait sur le palier.

– Calme-toi, bon sang, calme-toi ! Répétait-elle en cherchant la clé à embout rose, perdue dans le fatras des sésames métalliques, qui, comme pour la stresser encore plus, sonnèrent plus fort.

Enfin ! 

La voilà.

La serrure céda.

La porte s’ouvrit. Sarah se précipita dans le minuscule appartement obscur, referma la porte derrière elle.

– Marie ! Chuchota-t-elle furieusement. Marie, bordel, réponds !

Elle retrouva l’étudiante, penchée au-dessus de la cuvette du W.C., en train de vider son estomac avec violence. Pour la énième fois de la journée, de toute évidence.

Sarah eut un sursaut de recul à la vue de son état misérable. Le teint gris, des cernes interminables, des tresses blondes à moitié défaites, un maquillage dégoulinant, un tee-shirt en lambeaux laissant voir son soutien-gorge à moitié dégrafé.

– Sarah… râla-t-elle. Une semaine, ça fait une semaine, maintenant. Une semaine entière ! Tu vois dans quel état ça m’a mis ?

Sarah voyait surtout à quel point ce poison était addictif. 

– Donne moi de l’Omni ! Vite !

Pour toute réponse, la jeune femme rousse tira une écharpe du placard.

Marie s’effondra en larmes à la vue de l’étoffe rose, aux reflets pourpres ; aux motifs cousus de fils d’or.

L’écharpe de sa mère adoptive.

Celle à cause de laquelle tout avait commencé.

– Ta gueule, Shujaa ! Éructa Marie, titubante.

Il n’y avait personne d’autre dans la pièce.

– Sarah, s’il te plaît, donne-moi de l’Omni…

Elle grimpa avec peine sur le lit entama une chorégraphie qui se voulait lascive, érotique.

– Donne-moi de l’Omni, et tout ça sera à toi.

Le spectacle était pitoyable. Affligeant. Gênant.

– Non, répondit Sarah, douce mais ferme.

– Tu vas m’en donner, SALOPE ! Hurla Marie en se jetant sur elle.

Deux minutes plus tôt, elle semblait faible, chancelante. Maintenant, la rage lui donnait des ailes. De la force. De l’adresse. une diabolique capacité à analyser la situation et à en tirer parti.

Toute cette énergie au service d’un objectif malsain : obtenir de l’Omni.

Marie avait plaqué Sarah contre le mur. Elle la saisit par les épaules, la projeta contre la table basse que la rousse évita de peu. Sarah fit volte-face, voulut attraper la blonde qui se précipitait à nouveau sur elle, fut emportée par l’élan de son agresseuse.  

Elle se retrouva au sol. Marie s’assit à califourchon sur son dos, entreprit de l’étrangler avec l’écharpe.

– Donne-moi de l’Omni ! Donne-moi de l’Omni, putain ! Répétait-elle avec violence. 

Sarah ne répondait pas. 

C’était bien fait pour elle.

Elle avait rencontré Marie juste après que l’étudiante avait perdu son écharpe. Une jeune fille de bonne famille, le teint sombre soigneusement agrémenté par ses cheveux défrisés, lâchés, qu’elle portait mi-longs.

Sarah l’avait accueillie, aidé, écouté cette jeune fille qui rêvait de sortir du placard sans pour autant faire de la peine à ses parents ; et qui, quand elle eût compris que cela n’arriverait jamais, avait fugué.

Elle l’avait réconfortée.

Pour mieux la trahir.

À cause d’elle, Marie s’était retrouvée dans une organisation clandestine de prostitution, accro à l’Omni.

Sarah ne bougeait plus. Trop obnubilée par l’objet de son désir, Marie relâcha son étreinte et se précipita sur le sac à main, abandonné à l’entrée de la pièce.

La jeune femme rousse ouvrit les yeux, se releva discrètement, attrapa un dictionnaire qui traînait…

Un seul coup, violent mais sourd, sur le crâne. Radical.

Sarah soupira. Tout ça, c’était la faute de Mathieu.

Si Marie n’avait pas perdu son écharpe, Mathieu ne l’aurait pas retrouvée. Sarah n’aurait pas été obligée de tenter de le dissuader de chercher son propriétaire.

La fausse piste de la blonde avait pourtant été efficace… C’était sans compter l’entêtement du garçon, qui s’était attaché à la jeune femme inaccessible derrière le bout de tissu. Il voulait faire quelque chose qui compterait, et surtout, compter pour quelqu’un.

Sa naïveté et sa façon infantile de gérer sa solitude avaient attendri Sarah plus qu’elle ne l’aurait jamais cru.

Elle s’était attachée au garçon, et par conséquent, avait culpabilisé d’avoir trompé Marie de la sorte.

Elle allait l’aider à s’enfuir.

Passée par la porte de derrière, Sarah avait traîné le corps jusqu’à sa voiture.
Mathieu et Marie étaient tous deux des individus esseulés, désespérés, sans personne à qui se confier. 

Dans un autre monde, ils auraient sûrement été BFF, heureux, en phase.

Sarah posa Marie sur la banquette arrière, lui fit une injection qui la réveillerait en douceur, la rendant docile.

Ce n’était pas un autre monde. 

C’était la vrai vie, la cruelle.

 

Lorsque Marie reprit complètement ses esprits, elle était dans un TGV fusant dans l’obscurité. Dans ses mains, elle trouva un billet de train et une lettre qu’elle décacheta immédiatement.

 

“Marie,

Ce que je viens de faire pourrait me coûter ma vie, et même la tienne.

Dans ton sac, il y a de la bouffe, de l’argent, des vêtements, et tes papiers.

Ce train se dirige vers Lyon, je te recommande chaleureusement de ne descendre qu’à son terminus. Il faut que tu ailles le plus loin possible. Il faut que tu ailles dans un centre de désintox. Il faut que tu vives. Mais surtout, SURTOUT, il faut que tu ne reviennes JAMAIS. Les gens qui m’emploient, qui t’employaient, ne sont pas des tendres. S’ils te retrouvent, ils te tueront. Ne reviens jamais. Bonne chance.”

 

Marie effleura tristement l’écharpe autour de son cou, dernier vestige de son ancienne vie.

Il fallait tout recommencer.

Lire le textober de la veille : Jour 16 – Wild