Plusieurs semaines passèrent et je commençais à m’habituer au rythme de vie de la caravane. Nous nous levions à l’aube et démontions le campement avant de nous remettre en route. La fraîcheur de la nuit faisait place à une fournaise et je savais que lorsque celle-ci devenait insupportable, cela signifiait que le journée était à moitié passée. Si nous ralentissions en plein jour, c’était le signe que des nomades avaient repéré un puits et étaient restés en arrière remplir des gourdes et des jarres. Lorsque nous nous arrêtions et que nous commencions à monter le camp, c’était le signe que la journée allait laisser place à la nuit et que Ossah avait trouvé un endroit propice à notre escale.
Les crampes nocturnes dues à la longue marche étaient de moins en moins fréquentes, et je pus me rendre plus utile auprès des autres, ce qui facilita mon intégration. J’appris le nom de quelques enfants qui m’acceptèrent dans leur bande. Il y avait Kelo, le plus grand et le plus fort. C’était le petit-fils d’Ossah, et son avis était souvent déterminant. Nera n’avait plus que sa mère. Elle parlait très peu et on ne savait pas ce qui était arrivé à sa famille. C’était la protégée de Kelo, et personne ne pouvait dire du mal d’elle sans subir ses foudres. J’ai toujours trouvé que Kamo et Myra ressemblaient un peu à Kelo et Nera, sous certains aspects. C’est tellement dommage qu’ils ne se soient jamais rencontrés…
Il y avait aussi Heslo et Tehra, frère et sœur. Ils s’occupaient souvent de Jina, la plus petite, depuis que sa tante les avait recueillis. Et pour finir, il y avait nous, « les Jeh » : Jehdo, Jehnara, Jehora et moi, Jehwad. Tous les Jeh, à part moi, venaient d’une région du sud, proche des montagnes limitrophes du territoire des Tjinhs ; j’appris que ceux-ci y faisaient souvent des rapts, capturant des Kamotswe pour en faire des esclaves qui étaient condamnés à travailler dans les plantations des Tjinhs.
Ossah avait recueilli les autres Jeh alors qu’ils pouvaient à peine marcher, après le massacre d’un petit village. Jehora ne parlait jamais de ça, mais la nuit, elle marmonnait dans son sommeil, et Jina et Tehra m’avait raconté qu’elle rêvait souvent de ses parents, emmenés par les Tjinhs. J’étais triste pour elle et pour les autres. Je comprenais que la vie de nomade était très dure, mais que ce genre de caravanes jouait un rôle très important dans le pays. Elles devenaient souvent une nouvelle famille pour les enfants abandonnés. En échange, ceux-ci participaient aux tâches quotidiennes, grandissaient, restaient fidèles à ceux qui les avaient recueilli, se mariaient au sein de la caravane et participaient à sa pérennisation.
Les nomades permettaient aux différentes villes et villages Kamotswe de rester liées entre elles. Sans cela, elles seraient trop isolées pour échanger et communiquer, finissant par s’éloigner des autres, rendant le pays beaucoup moins uni et beaucoup plus faible. Les caravanes faisaient du commercede produits venus des autres régions du désert, transmettaient des lettres, donnaient des nouvelles, contaient des évènements dont ils avaient été témoins aux scribes de Kamojeh et au roi. Les nomades avaient beau être les gens les plus pauvres de toute la société Kamotswe, leur rôle était si crucial qu’ils étaient considérés et respectés de tous. Aucun village, aucune ville ne les laisserait coucher dehors et mourir de faim près de ses murs. Les étapes en territoire habité étaient toujours les plus confortables et les plus intéressantes.
Tandis que je découvrais toutes les nuances de ce monde, nous nous rapprochions de plus en plus de ma destination. J’hésitais encore dans mon choix. J’avais parlé à Ossah de mon désir grandissant de rester avec eux ; mais il se bornait à me conseiller d’envisager sérieusement de commencer par me rendre chez le Sage Guérisseur, quitte à les rejoindre après, lorsque la caravane repasserait par Tam, peut-être dans deux ou trois ans.
Ce soir-là, je m’isolai un peu en solitaire afin de réfléchir. Mes sens s’étaient suffisamment aiguisés pour que je réussisse à m’orienter sans l’aide de Jehora. De toute façon, les autres ne s’occupaient pas trop de mon cas, occupés à rêver de ce qu’ils feraient à leur arrivée à Tam. Ils disaient qu’on en était si proche que la silhouette de la ville se découpait dans le ciel rougi du crépuscule.
La caravane était suffisamment loi, maintenant. Il faisait de plus en plus froid ; la nuit devait être tombée.
Depuis quelques jours, je ne supportais plus la toile grossière de mon bandeau ; elle me démangeait tellement. J’avais de plus en plus de mal à la supporter.
Les mots d’Ossah me revinrent en mémoire : je devais porter ce bandeau car je supportais mal la lumière ; le retirer signifiait risquer de m’exposer à de terribles migraines. Pourtant, dès que l’air fraichissait, je ressentais l’envie de le retirer et de voir ce qu’il se passerait. Après tout, la lumière devrait être plus faible une fois le soleil couché, alors peut-être que…
J’en avais tellement envie. Voir, même un tout petit peu, peut-être distinguer les contours de la ville au loin, avoir la confirmation que même sans aller voir le Sage, je pourrais m’en sortir par mes propres moyens…
Je cédai à la curiosité et retirai le bandeau. Sans même ouvrir les yeux, je réalisai que je percevais une très, très légère différence… Mon cœur se mit à battre de plus en plus fort.
Il ne me restait plus qu’à lever mes paupières.
L’univers de EDD
EDD est une histoire que j’ai commencé à écrire quand j’étais encore à l’école. A l’époque, j’avais découvert « les Enfants de la Pluie », un long-métrage d’animation ; et j’ai eu envie de faire quelque chose qui se présente dans un univers à la fois semblable et différent. Plus le temps passe et plus EDD perd ses ressemblances avec « Enfants de la Pluie » et gagne en originalité. Peut-être que quand j’aurai entièrement réalisé la version finale, je regarderai à nouveau le film d’animation qui m’a inspiré, et je me rendrai compte que les deux histoires n’ont rien en commun. Je trouve que ce serait assez drôle !
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