Amis du Café, bonjour (ou bonsoir ? Je ne sais pas trop… Je ne suis pas encore à l’aise avec le concept d’Internet. Il faut avouer que dans mon monde, ça n’existe pas).

Aujourd’hui, vous l’aurez deviné, ce n’est pas Audrey qui vous parle. Mon nom n’a pas d’importance, mais je suis un de ses personnages : je vis dans la fiction qui a pour nom de code « EDD ».

De mon monde, je ne connais que le continent sur lequel je vis, Farana. Le mythe de la création de Farana n’est pas très glorieux. Une très vieille légende raconte qu’il y a très longtemps, les dieux ont conçu ce lieu comme une terre de punition pour deux de leurs comparses : les divinités du vent et de la pluie, deux entités farceuses et facétieuses qui commettaient les pires délits dès qu’elles étaient ensemble. Le dieu du vent fut donc exilé dans la partie nord de Farana, qui devint vite une contrée désertique et austère, tandis que son amie fut bannie au sud, qu’elle transforma en plaines et en collines verdoyantes. Malgré leur agacement, les dieux furent tout de même assez cléments pour leur confier des graines dont la culture leur donnerait une distraction durant leur punition d’une durée encore indéterminée. Chacun tira de ses plantes un peuple d’humains, et contempler chaque jour ces hommes fut pour eux un maigre réconfort. C’est ainsi que les Kamotswe occupèrent le désert du nord et les Tjinhs, les prairies du sud. Ainsi, les années, puis les décennies, puis les siècles s’écoulèrent, et plus personne ne songea aux dieux du vent et de la pluie.

Je profite donc de mon bref passage au Café pour vous raconter une histoire qui m’est arrivé en territoire Kamotswe, il y a de cela plusieurs années. Cette histoire est assez longue, si bien qu’Audrey et moi avons dû la découper en plusieurs parties. Ainsi, chaque vendredi, jusqu’au 7 Avril, vous aurez droit à un pan de ce récit.

Enfin bref. Où en étais-je déjà ? Ah, oui… quand ça m’est arrivé. C’était une époque à laquelle je ne connaissais ni Myra, ni Lety, ni Kamo. C’était avant la Grande Guerre, mais les tensions entre Kamotswe et Tjinhs étaient déjà ancrées dans les mœurs.

 

 

Pour autant que je me souvienne, cela commence au moment où je me suis réveillé en sursaut dans une chaleur que j’aurais qualifié de fournaise à l’époque. J’étais allongé sur un tissu qui me paraissait grossier au toucher, et qui semblait reposer sur un épais tapis de sable. Je touchais la toile, sentais l’odeur des peaux humaines après l’effort, entendais les murmures autour de moi… mais je ne voyais rien. Pire encore, je ne me souvenais de rien. Je ne savais pas qui j’étais, ni où j’y étais, ou encore pourquoi j’y étais. J’étais dans le noir à tous points de vue… sans mauvais jeu de mot.
Les voix s’intensifièrent dès l’instant où je décidai de me redresser.
– Qui es-tu, enfant, d’où viens-tu ?
Voilà deux questions qui ne pouvaient que me mettre mal à l’aise. Embarrassé, je balbutiai que je n’en savais rien, que je ne savais plus.
Les voix devinrent immédiatement hostiles.
– Menteur ! Menteur ! Comment on peut ne pas savoir qui on est ? Dis-nous la vérité, sinon nous te tuerons !
– Taisez-vous ! S’exclama brusquement une nouvelle voix, plus grave et plus impétueuse que toutes les autres.
– Mais, Ossah, c’est un menteur ! Intervint une autre voix masculine. Il ne veut pas dire qui il est.
– Il ne peut pas.
C’était probablement un vieil homme qui avait de l’influence. Dès qu’il commençait à parler, les autres s’effaçaient dans un silence déférencieux.
Je perçus son pas traînant qui se rapprochait de moi ; lorsqu’il commença à parler, il me sembla qu’il s’était baissé ou accroupi afin d’être à ma hauteur.
– Enfant, reprit-il, nous t’avons trouvé dans le désert, à plusieurs jours de marche du hameau le plus proche. Tu étais évanoui, et vu ton état, il semblerait que tu le sois resté assez longtemps. J’imagine que le soleil, le manque d’eau et de nourriture… tout cela a dû te faire tomber de faiblesse.
Je l’entendis émettre un faible râle. Je compris qu’il se redressait.
– Nomades, vous alliez vous attaquer à un pauvre enfant sans défense. N’avez-vous pas honte ? J’ai trouvé une lettre dans les habits de ce jeune homme. Il s’appelle Jehwad, il a sept ans et il vient de Kanasoa, le dernier village encore habité au pied des montagnes qui nous séparent des Tjinhs. Il doit se rendre chez le Sage de l’Est afin que ce dernier le guérisse car ses yeux le font souffrir dès qu’ils sont au contact de la lumière. C’est pour ça qu’il porte un bandage sur la tête. Il ne faut surtout pas le lui enlever.
Je tâtai mon crâne et constatai que le vieux disait vrai. Je ne l’avais même pas remarqué.
Ainsi, mon nom était Jehwad. J’avais beau le tourner et le retourner dans tous les sens, le murmurer, l’entendre… il ne m’évoquait rien. Mon amnésie me semblait être un gouffre d’une profondeur vertigineuse à l’intérieur duquel je ne pouvais rien distinguer.
– Jehwad, reprit Ossah, écoute-moi bien. Tu ne peux pas voir. Tu ne peux pas te déplacer tout seul. Nous ne sommes pas des monstres, nous n’allons pas te laisser partir comme ça, dans la région la plus isolée de tout le territoire Kamotswe. Reste avec nous. Notre caravane se rend à Tam ; malheureusement nous ne pouvons pas faire un détour par les plateaux de l’Est. Nous ne pouvons pas non plus te ramener à Kanasoa, c’est trop dangereux pour nous, les pillards et les Tjinhs rôdent dans les montagnes. Alors voilà, tu vas venir avec nous jusqu’à Tam, et de là, nous te trouverons une autre famille de nomades qui fait route vers l’Est ou le Sud, selon ce que tu auras décidé d’ici-là. Qu’en penses-tu ?
Je n’avais pas vraiment le choix. J’acquiesçai timidement.

Je serais incapable de vous dire combien de jours s’écoulèrent avant que je ne rencontre Jehora. Je me souviens qu’au début, Ossah s’occupait beaucoup de moi. J’étais très faible.
La caravane que dirigeait le vieil homme était composée de beaucoup de personnes, des hommes, des femmes, des enfants. Je ne saurais dire combien. Peut-être une centaine ? Il y avait aussi des chèvres, des poules, des dromadaires ; les plus faibles se faisaient transporter, les autres marchaient dans le sable chaud. On m’avait enlevé mes vêtements tous déchirés pour me passer une tunique, un pantalon qui ne couvrait pas entièrement mes jambes, des chaussures et une sorte de vêtement à capuche qu’ils appelaient saharina. J’appréciais cette capuche, comme si me terrer en-dessous permettrait aux autres de m’oublier. Je me trompais, bien sûr. Je percevais de la colère et de la méfiance dans les silences et les murmures ; j’étais un poids mort qui taillait sa part dans les ressources sans leur prêter main-forte.
Dès que je commençai à me sentir mieux, Ossah me proposa de voyager avec les autres enfants. J’avais peur d’eux mais je ne voulais pas rester un paria, alors j’acceptai.
Je ne m’étais pas douté que marcher dans le sable et les cailloux serait si dur. Les autres enfants m’intimidaient, je n’osais pas leur demander de l’aide ; je m’étalais plusieurs fois dans la poussière, me redressant vite, angoissé à l’idée de ne pas réussir à rattraper la caravane, de ne pas savoir m’orienter selon le son de leurs voix, de me perdre dans le désert. Les rares fois où je réussissais à retrouver ma place au sein du groupe d’enfants, je les entendais chuchoter et ricaner, et me mettais à redouter une quelconque farce à mes dépens, peut-être me guidant vers une issue fatale.
– Tu n’as pas à avoir peur, murmura une voix fluette près de moi. Ils ne sont pas si méchants.
– C’est… c’est à moi que tu parles ? Hésitai-je.
– Oui, oui, c’est bien à toi que je parle. Ton angoisse est flagrante, tu sais. Et puis, tu trembles, ça n’aide pas.
– Je ne pensais pas que c’était si visible, mais c’est vrai, je suis terrorisé.
– Il paraît que tu as tout oublié de toute ta vie ?
– Ossah m’a dit que c’est à cause de l’insolation qui m’a fait tomber dans les pommes, acquiesçai-je.
– Mais vraiment de rien de rien ?
– Mhh… parfois, la nuit, j’ai l’impression d’entendre une voix dans mes rêves, et ça ressemble à un souvenir.

La voix fluette ne répondit pas tout de suite ; mais je parvins à mesurer l’ampleur de sa curiosité silencieuse.

L’univers de EDD
EDD est une histoire que j’ai commencé à écrire quand j’étais encore à l’école. A l’époque, j’avais découvert « les Enfants de la Pluie », un long-métrage d’animation ; et j’ai eu envie de faire quelque chose qui se présente dans un univers à la fois semblable et différent. Plus le temps passe et plus EDD perd ses ressemblances avec « Enfants de la Pluie » et gagne en originalité. Peut-être que quand j’aurai entièrement réalisé la version finale, je regarderai à nouveau le film d’animation qui m’a inspiré, et je me rendrai compte que les deux histoires n’ont rien en commun. Je trouve que ce serait assez drôle !

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