Hello lecteurs ! Au menu ce vendredi, un mini-récit qui spoil un peu la série longue à venir, que j’ai désormais coutume d’appeler « LTK ».  Évidemment, je ne vais pas vous présenter un bout de l’histoire principale, ce n’est pas le but. Je veux juste vous donner un aperçu de l’univers de cette série, qui a très peu à voir avec celui de l’Écharpe.

La fiancée disparue (première partie)

extrait de LTK

Nyolina poussa timidement la porte de la salle du Médaillon.

La pièce était plongée dans la pénombre ; les pas de la jeune femme résonnèrent dans l’immense espace obscur.

Shamē s’était probablement rendu au Laboratoire. Quant au vieux Prêtre Suprême, il était régulièrement absent à cause de ses réunions au Conseil.

Elle se dirigea vers le Médaillon qui trônait au milieu de la pièce : Vagues de nacre, Lune d’argent et Soleil d’or, unis, encastrés les uns dans les autres. Ce symbole fort de leur nation était un emblème des trois peuples qui s’étaient unis pour survivre : les Kalinas, les Kagabitos et les Kurkurs.

Pour Nyolina, le sens était bien plus fort que pour n’importe quel citoyen Kakuto. Après tout, elle…

– Ah, Nyo, c’est toi.
Elle fit volte-face dans un sursaut.
– Shamē ! Tu reviens du Laboratoire ?
Il ne répondit pas, se contentant de refermer la porte. Nyolina pesta intérieurement : quand on pose une question, on a le droit d’espérer une réponse, non ?
Elle hésitait à le faire remarquer à son collègue lorsqu’elle perçut un reniflement dans la pénombre.
– On peut sortir, si tu veux. On n’y voit rien…
Toujours pas de réponse.
– Bon, ça suffit, maintenant ! Shamē, c’est quoi ton problème ? J’essaie d’être cordiale !
– …C’est bien une réaction de Kalina, ça. Toujours à croire que vous pouvez tout faire, et qu’il faut agir, et tout de suite.
– Est-ce que tu es en train de m’insulter, là ?
– Non, c’est juste que… elle était un peu comme toi.
– Qui ?
– Personne.
Nyolina laissa échapper un sourire d’exaspération. Maintenant que ses yeux s’étaient habitués à l’obscurité, elle pouvait distinguer la silhouette de Shamē et s’asseoir juste à côté de lui.
– Écoute-moi bien. Toi, le vieux et moi, on va passer toute notre vie ici, à Mataruna, la plupart du temps dans cette tour, à préserver l’unité de tous les Kakutos. Comment veux-tu qu’on le fasse si on ne se connaît pas ? Si on ne se fait pas mutuellement confiance ? Nous devons pouvoir compter les uns sur les autres, tu ne crois pas ?
– Nyo, ça n’a rien à voir avec le boulot, alors laisse-moi tranquille.
Cette fois, Nyolina retint son soupir. La curiosité la dévorait… Elle se dit que le silence suffirait peut-être à le faire parler.
Au bout de quelques minutes, Shamē commença à se sentir mal à l’aise. Il se raclait la gorge, agitait ses jambes, se grattait le nez. Lui qui était d’un naturel sociable et avait pour habitude de meubler les silences gênants se sentait oppressé par la présence muette de Nyolina.
– D’accord, tu as gagné, je vais te le dire… Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de la disparition de ma fiancée. Elle s’appelait Nic’Onna.
Nyolina eut un choc en entendant ce nom. Elle le connaissait déjà.
Elle ne s’attendait pas à ce que Shamē le prononce.
– Tu ne me poses pas de questions, Nyo. C’est étrange venant de toi.
La jeune femme remercia intérieurement la Lune, déesse des Kalinas, pour cette pénombre qui dissimulait l’expression de son visage.
– Je me demandais juste qui pouvait porter un nom aussi laid, prétendit-elle.
– Décidément, tu ne respectes rien du tout.
– Et donc, qu’est-il donc arrivé à… heu…
– Nic’Onna. Elle a disparu lorsque nous étions enfants.
– Enfants ? Mais tu viens de dire que…
– C’était ma fiancée, oui. Tu sais, chez les familles de Kagabitos riches, on s’engage très jeune. Les mariages sont arrangés par les parents. Mais rassure-toi, on se connaissait bien. On se voyait souvent, pour s’habituer.
– Hé bien moi, je trouve ça nul, ce genre de mariage.
Shamē la fusilla du regard.
– Comment a-t-on pu te choisir si tu es si peu douée pour la diplomatie ?
– Facile ! j’étais la plus forte aux épreuves.
– Des épreuves de quoi ?
– Des épreuves de force.
– Ah, d’accord, c’est tellement logique…
– Tiens, c’est bizarre, répliqua-t-elle. Je ne savais pas que le sarcasme, c’était de la diplomatie.
Le silence reprit le dessus quelques secondes.
– Bon, capitula Nyolina, j’arrête de te taquiner. Elle était comment, cette Nic-truc ? Tu as dit qu’elle me ressemblait.
– Oui, ton tempérament et le sien me semblent similaires. Elle n’aimait pas l’enseignement de son précepteur. Ce qu’elle voulait faire, c’était de la géométrie, de l’algèbre, des mathématiques…ce qui énervait ses parents. Surtout sa mère.
– Mais pourquoi ? C’était une fille de Savants, non ? Pourquoi vouloir l’empêcher de faire des trucs de Savants ?
– Parce que c’était une fille. Et chez nous, les filles, ça apprend la broderie, la danse, et à gérer une maison.
– Ouah. Ça c’est du programme. Elle doit être tellement plus heureuse là où elle est.
– Comment oses-tu ?!
Les cris de Shamē résonnèrent dans la grande salle. Il était excédé.
– Elle est probablement morte à l’heure qu’il est, et toi… Tu n’es qu’une petite idiote, sauvage !
La colère commençait à prendre le dessus et Nyolina se serait volontiers laissée envahir, elle aussi, si elle n’avait pas senti la résonnance du Médaillon. Il fallait à tout prix retrouver un équilibre.
– Je te présente mes excuses, Shamē. j’ai manqué de tact. Vraiment. Pardonne-moi.
– C’est vraiment peu de le dire ! Oser exprimer une telle chose !
– Je suis désolée de poser la question, néanmoins… Tu penses qu’elle était heureuse, à l’époque… ?
– Heureuse ou pas, ce n’est pas la question ! C’était une fille ! Tout ce qu’elle avait à faire était de rester à sa place bien gentiment, c’est pas compliqué, quand même !
– D’accord, d’accord. Tu sembles lui en vouloir, en tout cas.

Shamē grogna.
– Je suis sûr… je suis sûr qu’elle a fugué, qu’elle est partie dans la forêt. Qu’à la nuit tombée, elle s’est faite dévorer par une bête sauvage.
– Ah, donc elle serait partie de son plein gré ?
– Si on l’avait enlevée, une rançon aurait été exigée. C’est logique.
Malgré l’obscurité, l’irritation de Shamē était palpable.
– Et… vous l’avez cherchée, je suppose ?
– Oui, bien sûr ! Rien, on a rien trouvé, pas le moindre indice. Absolument rien ! Elle n’a rien laissé, pas une lettre, pas une miette !
Nyolina crut sentir sa voix se briser.
– Elle ne s’est jamais rendue compte que je n’avais qu’elle.

– Arrête, Shamē. Vous étiez enfants.
– Les enfants, ça sent ces choses-là.
La jeune femme trouvait ça ridicule. Pour elle, les enfants étaient juste des êtres d’amour sans raison ; autant dire sans difficultés. Elle opta pour un autre sujet.
– Est-ce qu’elle… te manque, aujourd’hui ?
Shamē se détourna de Nyolina, exaspéré.
– C’est fou ce que tu aimes enfoncer des portes ouvertes. Bien sûr qu’elle me manque !
– Alors pourquoi ne pas reprendre les recherches ? Je pourrais te prêter quelques-uns de mes sujets pour t’aider dans ta tâche. Nous, les Kalinas, sommes très doués pour pister nos proies. Qu’en dis-tu ?
– Que veux-tu que je trouve ? Près de dix ans se sont écoulés depuis ! Et puis, mon rôle est de servir la nation Kakuto. Pas uniquement mes intérêts.
– Et comment mieux servir l’entente entre nos deux peuples qu’en acceptant l’aide des Kalinas ? Tu convoques les Guerriers dont je te donnerai le nom. Tu les informes de la situation. Ils t’accompagneront dans ta quête. Ça ne te coûte qu’un peu de temps, et si ça n’aboutit pas, tant pis, mais au moins, tu auras fait tout ce que tu pouvais.
Shamē ne répondit pas. Il réfléchissait.
– Je ne sais pas si…
Nyolina le scruta avec attention.
– Ce n’est pas grave. Je vais faire un effort, te faire confiance, et essayer quand même. On ne sait jamais.
Nyolina eut un petit sourire en coin.
– … Et si c’est un Guerrier qui retrouve ta dulcinée, tu auras une grande dette envers notre peuple.
Shamē soupira.
– D’accord, d’accord, marché conclu.
Ils échangèrent un geste d’entente, un regard hésitant mais cordial… Sur son socle, le Médaillon se mit à luire doucement.

La suite de la fiancée disparue, c’est par ici ! 

L’univers de LTK
J’ai commencé à travailler sur cet univers il y a à peu près quinze ans. Il a pris forme grâce à un vieux livre que j’avais et qui parlait des civilisations mythiques et/ou disparues. LTK s’inscrit dans un contexte proche du mythe et de l’épopée, où les thèmes de l’émancipation et de l’intégration dans la société sont très présents.